La mouche et le coach 🪰
« Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un Coche. » (c’est à dire une voiture à cheval)
Vous rappelez-vous de cette fable de La Fontaine, qui s’intitule « Le coche et la mouche » ? Je vous la fais courte. Ce coche a bien du mal Ă monter la cĂ´te, si bien que les passagers sont descendus pour l’allĂ©ger.Â
C’est alors qu’« une Mouche survient, et des Chevaux s'approche ;
Prétend les animer par son bourdonnement ;
Pique l'un, pique l'autre, et pense Ă tout moment
Qu'elle fait aller la machine, …»
Evidemment elle n’y est pour rien, mais dès que la voiture se remet à avancer et que les passagers la suive, alors, péché d’orgueil, « Elle s'en attribue uniquement la gloire ;
Va, vient, fait l'empressée ; il semble que ce soit
Un Sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens, et hâter la victoire. »Â
Bref elle prend le melon, et, reconnaissons ici l’humour magnifique de notre Jeannot national, va même jusque’à se plaindre « qu'elle agit seule », et qu’elle fait tout le boulot. Non mais c’est vrai quoi ! Pendant que le curé lisait son livre de prières, ou qu’une femme chantait, elle, elle allait d’avant en arrière et d’arrière en avant pour faire avancer l’équipage !
LĂ je me rends compte que j’ai dit que je vous la faisait courte, mais en fait non. La fable est en rĂ©alitĂ© bien plus courte que tous mes commentaires (Vous la retrouverez en entier Ă la fin de ce texte. Pour l’instant, moi aussi je continue Ă m’activer). Bon.Â
« Après bien du travail le Coche arrive au haut.
Respirons maintenant, dit la Mouche aussitĂ´t :
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Ca, Messieurs les Chevaux, payez-moi de ma peine. »Â
Elle va faire envoyer la facture par son service comptable !
Terminons par la morale imposée par La Fontaine, mais dont on sait aujourd’hui que la morale écrite est loin d’être la seule à laquelle peut se réduire l’interprétation du texte. C’était surtout pour l’auteur le moyen de cibler un sens peu équivoque, et donc peu ironique, et d’éviter de s’attirer les foudres des puissants. Une manière de crypter son ironie, en quelque sorte.
« Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :
Ils font partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés. »
Oui, bon, pourquoi pas. Perso, j’ai ma propre interprétation. La mouche est le coach du cocher. Elle s’active, elle ne lâche rien (même pas un conseil !), elle l’entoure, elle le pousse à se concentrer sur son objectif, et va de l’avant pour l’engager à regarder au loin son objectif, et de l’arrière pour l’amener à regarder aussi le chemin parcouru. Sa course incessante, dynamique mais pas hystérique, lui indique de ne pas paniquer, d’analyser en même temps son parcours et les obstacles pour engager les meilleures stratégies au service de ses clients (les passagers) et de son personnel (heu… les chevaux ?).
Et si le travail de coach, c’était cela ? Je veux dire, sans la partie où la mouche ne prend pas le melon ? (demeurant près de Cavaillon après quelques années en Charente Maritime, j’espère que le melon ne prendra pas la mouche).
Bon, je vous laisse à ces réflexions, et vous livre tout de même et tout de go l’intégralité de la fable.
LE COCHE ET LA MOUCHE
Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé
Et de tous les côtés au soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un Coche. (1)
Femmes, Moine, Vieillards, tout Ă©tait descendu.
L'attelage suait, soufflait, Ă©tait rendu.(2)
Une Mouche survient, et des Chevaux s'approche ;
Prétend les animer par son bourdonnement ;
Pique l'un, pique l'autre, et pense Ă tout moment
Qu'elle fait aller la machine,
S'assied sur le timon, sur le nez du Cocher ;
AussitĂ´t que le char chemine,
Et qu'elle voit les gens marcher,
Elle s'en attribue uniquement la gloire ;
Va, vient, fait l'empressée ; il semble que ce soit
Un Sergent de bataille (3) allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens, et hâter la victoire.
La Mouche en ce commun besoin
Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin ; (4)
Qu'aucun n'aide aux Chevaux Ă se tirer d'affaire.
Le Moine disait son Bréviaire ;
Il prenait bien son temps ! une femme chantait ;
C'Ă©tait bien de chansons qu'alors il s'agissait !
Dame Mouche s'en va chanter Ă leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.
Après bien du travail le Coche arrive au haut.
Respirons maintenant, dit la Mouche aussitĂ´t :
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Ca, Messieurs les Chevaux, payez-moi de ma peine.
Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :
Ils font partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés.
(Jean de la Fontaine 1621-1695, Livre VII, Fable 9)
1 : voiture tirée par des chevaux, fiacre, diligence2 : c’est à dire fatigué, exténué, épuisé3 : poste important qui reçoit ses ordres directement du général lors des batailles4 : le soin, c’est à dire les efforts.